Glossaire :

Apiculture : élevage des abeilles afin d’exploiter la ruche (miel, gelée, cire, gelée royale, propolis)

Pollinisation : exportation par les abeilles du pollen pour la reproduction des fleurs.

Surmortalité : taux de mortalité anormalement élevé

Dépeuplement : baisse progressive du nombre de représentant d’une espèce.

Ethnologue : spécialiste d’ethnologie, étude scientifique et systématique des sociétés dans l’ensemble de leurs manifestations linguistiques, coutumières, politiques, religieuses et économiques, comme dans leur histoire particulière.

Cour d’appel : elle réexamine les affaires jugées en premier degré en matière civile, commerciale, sociale ou pénale. La cour d'appel juge les affaires sur le fond.

SPMF : Syndicat des Producteurs de Miel Français (composé d’apiculteurs professionnels).

IRD : Institut de Recherche pour le Développement

UNAF : Union Nationale de l’Apiculture Française

AFSSA : Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, ancien établissement public français qui a fusionné en juillet 2010 avec l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail pour former l’Agence Nationale chargée de la Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail.

DGAI : Direction Générale de l’Alimentation

RESATA : Réseau Sanitaire Apicole des Troubles de l’Abeille

Puces RFID (Radio Frequency Identification) : puces électroniques constituées d’une antenne et d’un microprocesseur. Ces cartes permettent de mettre à jours directement les informations via l’antenne contrairement aux cartes à puces (carte bancaire, téléphonique…etc). Elles sont utilisées pour l’identification d’animaux, les contrôles d’accès par badge, pour les péages automatiques

Analyse de la controverse

          Le rapport de l'AFSSA rendu public le 15 février 2008 concluant à l'absence d’effondrement de population dans les colonies d'abeilles étudiées ainsi que le non lieu confirmé par la cour d’appel de Toulouse le 2 septembre 2010 dans l’affaire du Régent ( Ce pesticide est accusé par les apiculteurs de causer la mort des abeilles) ont relancé la controverse. La Confédération Paysanne dénonce « un déni de justice » et envisage de se pourvoir en cassation contre la décision rendue par la cour d’appel de Toulouse. Pour Jean-Marc Petat, responsable du département filière et environnement, chargé du dossier abeille chez BASF Agro, si le dossier sur la surmortalité des abeilles patine, c’est parce qu’il y a “un manque de cohérence et de moyens financiers pour étudier le phénomène de dépérissement des abeilles en France”.

          Le monde apicole est divisé. Il est en conflit ouvert avec l’AFSSA. Une grande majorité des apiculteurs ont traduit cette opposition, notamment  par le refus de la Coordination apicole (refus de participer à l’enquête de l’AFSSA menée dans cinq départements : Eure, Gard, Gers, Indre et Yonne). Or,  les dénonciations des mauvaises pratiques apicoles désignées par l’AFSSA ont été régulièrement relayées par un syndicat, le SPMF (Syndicat des producteurs de miel français) qui a mis en exergue le manque de formation de certains apiculteurs.

          L’étude faite par Romain Simenel dans le sud marocain  peut soutenir cet argument. En effet, en perdant la diversité de ses ruches traditionnelles, remplacées peu à peu par des ruches industrielles standards, l'homme a perdu la richesse des savoir- faire apicoles et des connaissances sur l'abeille. Ceci peu expliquer une disparition des abeilles.

          Nous parlons alors de dépeuplement, de dépopulation, de dépérissement ou de chutes de population, de disparitions qui peuvent être liées à de nombreux autres facteurs : pollution, perte de la biodiversité (flore), maladie ou parasites, exposition chronique aux faibles doses de produits chimiques (pesticides) ou encore un appauvrissement de la diversité génétique des abeilles suite à l’existence d’un marché mondial de reines.

          Cependant, les apiculteurs parlent de surmortalité des abeilles dans l'ensemble des grands pays producteurs de miel. Elle peut atteindre annuellement 30 à 40 % avec des exemples quotidiens de destruction total du cheptel. Ces indications figurent dans le rapport du député de Haute-Savoie Martial Saddier sur la surmortalité des abeilles remis à François Fillon en 2008. Il propose la mise en place d'une plate-forme de travail avec l'ensemble des acteurs afin de favoriser la mise en place d'un "Institut technique et scientifique de l'abeille". Ce qui pourrait assurer la protection des abeilles, mettre en place une 'filière apicole durable" et permettre d’effectuer des études et des recherches fiables. Le caractère multifactoriel de la mortalité des abeilles met en avant la nécessité de structurer la filière.

          Enfin, l’étude épidémiologique réalisée en 2010 par le chercheur espagnol Mariano Higes, spécialiste de l’abeille au sein du Laboratoire des pathologies de l’abeille (Castilla-La Mancha), et son équipe confirme le rôle des pathologies dans les pertes de colonies d’abeilles en Espagne.

          L’objectif de cette étude est de rechercher les différents facteurs liés aux pertes de ces colonies. A partir de prélèvements répartis sur 11 provinces, Mariano Higes estime que « 97,5% des colonies sont atteintes de dépopulation, contre seulement 9,5% dans les colonies saines sont contaminées par le protozoaire Nosema ceranae » (être unicellulaire qui s’attaque aux cellules épithéliales de l’intestin de l’abeille et qui progressivement le détruit). En revanche, il se refuse à établir un lien de causalité entre le syndrome d’effondrement des colonies et les pesticides. Il veut comprendre le rôle potentiel d’autres facteurs et surtout évaluer l’influence de la combinaison de ces autres facteurs à risques. Dans cette étude, il relève également le manque de cohérence entre le pollen dominant retrouvé dans les ruches et les indications fournies par les apiculteurs concernant les cultures de butinage des abeilles. Mais il effectue un nombre très faible de prélèvements, qui ne dépasse pas la centaine. «C’est pourquoi nous avons clairement indiqué qu’il s’agit d’une étude préliminaire », indique l’expert, qui prépare déjà la rédaction d’une nouvelle étude, avec, cette fois-ci, plus de 2000 échantillons.

 

 

Dynamique de la controverse :

          C’est de Grande-Bretagne qu’un programme sans précédent permettra peut être d’élucider si la surmortalité des abeilles est avérée. En effet, un article du Monde de Gaëlle Dupont publié le 1/08/2010 nous apprend que les autorités anglaises et écossaises vont consacrer 12 millions d'euros à neuf projets de recherche qui vont suivre, à la trace, les insectes. Ils exploreront diverses pistes : rôle du parasite Varroa destructor - surnommé le « vampire de l'abeille », impact des modifications du paysage et des changements dans l'environnement, fonctionnement des abeilles en ville.

          Le volet le plus spectaculaire de la recherche sera l’étude menée sur des abeilles de trois ruches en pleins champs qui seront équipées de puce de radio-identification (RFID). Elles permettront donc de suivre la trace de chaque insecte. Il s'agit de résoudre l'une des difficultés majeures dans l'identification des causes de disparition des abeilles : dans de nombreux cas, les abeilles ne meurent pas près de la ruche, mais disparaissent. Les insectes seront également régulièrement pesés, afin de déterminer s'ils ramènent la même quantité de nourriture que dans des ruches témoins. Quelque 16 000 abeilles au total seront équipées de puces RFID. Ce programme, mené en collaboration avec des apiculteurs écossais, doit durer trois ans.

            Ces différents points de vue nous permettre de comprendre la difficulté à établir un diagnostic. Le vocabulaire qui désigne une surmortalité est abondant et lié à de nombreux phénomène parfois difficile à identifier selon la responsabilité des acteurs. Nous avons également pu constater la cristallisation et les passions que suscite ce débat.